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« Un pouvoir politique n'est pas seulement composé d'hommes qui instaurent et qui man'uvrent certaines institutions, qui se réclament de certaines idées et procèdent à certaines actions. Il vise à se faire reconnaître, identifier et, si possible, favorablement apprécier grâce à tout un système de signes et d'emblèmes, dont les principaux sont ceux qui frappent la vue ». Cette réflexion de Maurice Agulhon aurait très bien pu trouver sa place en exergue de l'exposition « 2000 ans d'images du pouvoir central en Haute-Auvergne », organisée de juin à octobre 2000 au musée d'Aurillac par la Société des lettres, sciences et arts « la Haute-Auvergne ».
Voulue pour prendre place parmi les initiatives rétrospectives destinées à marquer le changement de millénaire, elle a été conçue non pas comme une simple « galerie » chronologique, mais au contraire comme une invitation à la réflexion sur les rapports entretenus par le pouvoir central avec l'image, s'inscrivant dans le sillage déjà ancien, tracé par les travaux de Ralph Giesey, d'Ernst Kantorowicz ou de Maurice Agulhon, sur la représentation de l'Etat. Il s'agissait de montrer non seulement à travers quels types d'images le pouvoir central s'était mis en scène, ou avait été mis en scène, mais aussi quelles étaient les oscillations entre les phases de forte et de faible utilisation de l'image par le pouvoir en général, et de celle du détenteur suprême du pouvoir en particulier.

Le cadre géographique retenu, soit la Haute-Auvergne, correspondant au sud de l'Auvergne, couvert à partir du XIIe s. par la juridiction du bailliage des Montagnes, et au Cantal, qui lui succède imparfaitement du point de vue des limites territoriales, avait une première particularité : n'étant pas, ou n'ayant guère été, un territoire de « marge », il s'est toujours plus ou moins inscrit dans les grandes obédiences qui ont marqué l'essentiel de la France en construction. Nul besoin de rappeler les épisodes héroïques et controversés de la défense des Arvernes face à César. L'« Auvergne », la conquête romaine acquise, se trouve intégrée dans la province d'Aquitaine. Elle demeure un îlot de préservation de la romanité jusqu'à l'installation tardive des Wisigoths. En 507, lors de la victoire de Clovis sur le roi des Wisigoths, elle entre dans le royaume mérovingien, puis échoit à la branche austrasienne lors des partages qui suivent. Sous les Carolingiens, elle est intégrée au royaume familial d'Aquitaine, intégré à l'Empire, créé à l'origine par Charlemagne pour son fils Louis puis confié à d'autres cadets ou bâtards carolingiens, mais qui perd consistance à la fin du IXe s.. Sous les premiers Capétiens, malgré l'affaiblissement du pouvoir central, le lien théorique est conservé, puisque l'Auvergne est incluse dans le duché d'Aquitaine, inféodé au roi de France. En 1189, le roi d'Angleterre, duc d'Aquitaine, cède au roi de France la mouvance de l'Auvergne, qui entre peu à peu dans le domaine royal (ce dernier demeurant très faible, néanmoins, en Haute-Auvergne). De 1241 à 1271 le statut d'apanage de l'Auvergne, confiée au frère du roi, n'est qu'une courte parenthèse qui n'entraîne pas l'éclipse du pouvoir central du roi de France, relayé en fait par l'apanagiste. - En revanche, la nouvelle et longue période d'apanage, (aux Berry puis Bourbon) entre 1360 et 1531-32, marque davantage un certain recul de fait du pouvoir central en Auvergne, les prérogatives royales étant néanmoins maintenues. A partir du XVIe s., enfin, l'Auvergne est de nouveau clairement et directement soumise au roi. La Révolution voit certes la disparition des provinces et la création des départements, mais l'inscription de l'Auvergne, dont sa partie « haute », au sein de l'ensemble français unifié, n'a jamais été remise en cause. Tout cela donne une certaine unité au thème traité : « le pouvoir central », en Haute-Auvergne, est presque toujours celui qui s'exerce sur la majeure partie du territoire français en cours de constitution. Les enjeux des luttes entre divers pouvoirs centraux ne sont guère prégnants ici. Ce sont plutôt les enjeux des luttes entre pouvoir central et pouvoirs locaux qui s'affirment comme pertinents.
Car la Haute-Auvergne et le Cantal ont eu une autre caractéristique : être toujours très éloignés des sièges du pouvoir central (sauf pendant la période de Vichy'). D'où l'importance de l'usage de l'image, a fortiori à l'époque des sociétés peu alphabétisées, pour un pouvoir désirant y ancrer ou y défendre sa légitimité.

Deux approches complémentaires se chevauchent donc. D'une part, une évocation des formes d'utilisation (et des phases de non-utilisation marquée) de l'image par le pouvoir central ayant autorité sur la majeure partie du territoire de la France progressivement constitué. D'autre part, une réflexion sur la particularité de la relation image / pouvoir en Haute-Auvergne et dans le Cantal. Cette dernière n'a malheureusement pu être qu'amorcée. Une enquête, dont on trouvera les résultats et l'exploitation un numéro à venir de la RHA, a été lancée dans l'ensemble des mairies du département, pour y inventorier les images présentes du pouvoir central. Ayant bénéficié d'un taux de réponses avoisinant les 60 %, elle permet désormais d'avoir une perception claire de la particularité de la présence d'images du pouvoir républicain, essentiellement. Elle a permis de guider la conception des parties de l'exposition qui lui étaient consacrées. Pour les autres époques et régimes, en revanche, il aurait fallu engager une enquête beaucoup plus aléatoire chez les particuliers. On a alors plutôt procédé par un choix d'« éclairages » successifs, en puisant dans des collections privées dont chacune peut être considérée comme un embryon d'échantillon représentatif, et dans les collections publiques locales. Ici, la mention de l'origine des 'uvres dans les inventaires permet parfois de reconstituer a posteriori des pratiques antérieures d'utilisation de l'image du pouvoir central dans ce territoire.

De même, l'approche du pouvoir central à travers ses images a été double, voire triple. On a été conduit à distinguer d'un côté le « sommet », l'essence du pouvoir, qui sert de référent et/ou donne l'impulsion, soit à la fois les détenteurs individuels du pouvoir suprême, et ce qui peut représenter l'identité du régime (reprenant ainsi la distinction de Kantorowicz entre les « deux corps du roi », ou celle de M. Agulhon entre les « deux corps de la République ») ; de l'autre, l'appareil d'Etat, exerçant le pouvoir en agissant au quotidien, et en utilisant aussi des images à cette fin. C'est ainsi que l'exposition s'est trouvée organisée en deux temps, correspondant aux deux salles qui l'accueillaient : « le pouvoir incarné », et « le pouvoir en action ».